Démarche artistique de l’œuvre

 
"L'art doit donner de l'espoir."

 

J'aime observer. S’il y a quelque chose qui attire mon attention, qui m'inspire, ce désir de créer naît en moi. Ma peinture commence par une idée. Je peins rarement directement devant l’objet. Une peinture doit grandir à l'intérieur de moi. Puis, dans mon atelier, mon travail prend forme. Je commence toujours par des esquisses puis des sous-couches. J'aime travailler avec le matériel. J’ai une préférence pour la peinture à l'huile qui possède toutes les qualités pour exprimer mes sentiments. Aussi, j'aime à créer de la différence sur mes toiles en les accentuant avec des empâtements plus prononcés, jouer avec les reliefs et utiliser de fines couches de peinture. Mes outils favoris sont le couteau à palette, les pinceaux, les doigts et tout ce que j'ai à portée de main. Peindre, c'est alors le moment du mystère, je progresse dans l'inconnu, j'exprime mes sentiments, je crée…

 

L'atmosphère, l'humeur, l’émotion jouent un rôle important dans mes tableaux. Mes peintures sont comme une poésie. Souvent je retouche mes toiles. Accrochées au mur je les regarde pendant un certain temps. Ensuite, je recommence à travailler jusqu'à être satisfait du résultat. La peinture est pour moi une façon d'être au monde, d'être là. Sur la toile je peins qui je suis. C’est une véritable partie de moi. L’authenticité, l’originalité sans effort. Le fait d’être soi-même loin du bruit de la foule et d’être proche de mes racines et de la source. La peinture est un acte métaphysique, un pas dans l'inconnu, et la sortie du quotidien pour le monde onirique.

 

Ma technique et mon style ont beaucoup évolué au cours des trois dernières années. Le nombre des couleurs de la palette s'est restreint. Mais l'approche est restée largement la même. Il s'agit avant tout d'une recherche d'idée. D’abord dans l'imagination et plus tard dans les croquis. Si je vois une image qui me saisit, je commence à dessiner sans préparation sur un grand format. Cela donne l'effet d'une énergie forte et fraîche de la toile. Toutefois, la première vision n'est pas pulvérisée sur les croquis et la préparation. Je dessine d'abord au fusain, puis je mets de l'acrylique avec une couche « aquarelle » translucide. Je pose les principaux éléments, à la recherche de rythme et de composition. Parfois, je fais une première étape avec de l'huile le même jour. Ensuite, bien sûr, au fur et à mesure que la toile sèche, une deuxième étape, une troisième ... et ainsi de suite jusqu'à ce que je sois satisfait. Le moment de s'arrêter est très important pour moi. Cela doit être ressenti. Ainsi que le contact avec la peinture. Il doit être conservé à toutes les étapes de la création. C'est une sorte de dialogue avec la peinture. Parfois, la toile peut être travaillée pendant deux ou trois ans. Et parfois je la finis en deux ou trois séances. Je cherche toujours attentivement les couleurs. Mon ancienne palette avec ses différentes couches de peinture pèse près de cinq kilos. Je laisse, pour l’anecdote, les amateurs de mon travail la soupeser lorsqu'ils viennent dans mon atelier.

 

Sur le plan technique, j'utilise à la fois des pigments et de la poudre de marbre. Dans une térébenthine, j'ajoute des cristaux de dammar. Il donne une glaçure cristalline spéciale à la couche de peinture. Il s'agit de la réfraction de la lumière. Des pigments, je mélange avec de l'huile déjà en cours de travail. Et j'ajoute de la poudre pour épaissir. La peinture ou les pigments ne sont pas seulement utilisés comme un moyen pour créer une image mais se manifestent en tant que matière autonome. Après tout, la surface de la toile est une chose mince et sensuelle. J'ai mis la peinture sur la toile avec des pinceaux, une spatule et des doigts aussi. J'aime souligner les lignes principales des rythmes, des battements et des éclaboussures. Mais le plus important est de garder le sentiment, l'émotion. Une peinture est un voyage. Un voyage au plus profond de l'âme, à travers les objets que je recrée sur ma toile. J'enregistre ce moment passant sur la toile. À propos de laquelle Goethe a écrit : « Si je dis à l’instant : «Reste donc ! tu me plais tant ! ». Par exemple hier en se promenant à Bois de Boulogne j’ai vu un paysage magique. Immédiatement, j’imaginai un groupe de personnages intemporels dans ce paysage. Le champ avec le grand arbre à gauche crée une composition classique dans l’esprit de Lorrain. Et les personnages me rappelaient Corot. C’était un moment parfait. Le moment où naît l’envie de créer.

 
Récemment, j'ai créé sept versions de la Fontaine Médicis. C'est l'un de mes endroits préférés au Jardin du Luxembourg. Pleine de grandeur et de mystère, cette fontaine reste pourtant intime. Sa construction a commencé en 1630. Mais pendant cette période, elle a subi de nombreuses étapes de reconstruction. Pour une raison quelconque, je veux toujours revenir en arrière et m'asseoir à l'ombre des vieux platanes, près du bassin de la fontaine. L'eau rugit doucement. Dans sa profondeur froide, les poissons nagent, leur dos luisent de bronze et de noir. La lumière pénétrant les épaisses branches des arbres glisse sur l'eau et la stèle de la fontaine, tirant de l'ombre naturelle les figures d'Acis et de Galatée, que le géant Polyphème venait épier. Dans la cinquième version, « Fontaine Médicis V », j'ai concentré mon attention sur cette composition de personnages. Récemment, lors de l'épidémie de Covid 19, j'ai créé une sixième version de la fontaine. Dans cette toile, je me suis concentré sur la lumière printanière, avec une palette spécifique pour cette saison. L'image entière est soutenue dans des tons délicats. La douce lumière du printemps glisse sur l'eau et le groupe sculptural. La silhouette de la stèle est soulignée par les reflets qui brillent depuis les maisons de la rue Médicis. Ils sont légèrement plus jaunes que les reflets de l'eau. Oubliant tout, j'ai essayé de transmettre le « charme du moment » qui me fascinait. Ma dernière peinture consacrée à cet endroit magique est intitulée « Fontaine Médicis VII. Lumière d'été ». La fontaine qui a été restaurée récemment a attiré mon attention de nouveau. La palette, les contrastes, ainsi que les reflets qui maintenant sont presque blancs, tout est changé. Ce renouvellement nous fait penser aux cycles de la vie. La vie qui toujours se surmonte soi-même. L’atmosphère « festive » et joyeuse domine ce tableau. C’est une nouvelle incarnation. La fontaine contient à nous confier ces secrets...
 
La fontaine est un espace de l’indiscernabilité, entre pierre et eau, entre les voies naturelles que sont celles des rivières et les voies transformées par l’homme. Si l’espace est « indéterminé », il n’en est pas moins riche, exubérant, par ses jeux de lumières sur l’eau, sur l’air et sur la végétation qui s’approprie cette source de vie. Cette profusion baroque, qui surgit à qui sait voir les variations de la lumière, s’oppose à la pureté de l’architecture du monument. Choisir de représenter la Fontaine Médicis, c’est choisir un lieu et un moment. La Fontaine non seulement fut, à maintes reprises, transformée mais aussi déplacée. Constatant l’échec d’une fixation de l’architecture qui par son histoire est déformée et reformée depuis sa construction, j’ai souhaité en garder l’image que l’on se forme dans la mémoire. C’est cette image remémorée qui est la véritable appropriation d’un lieu. C’est dans cette image que l’on y fixe nos idées, nos sentiments, notre vie. Le rôle du peintre devient alors d’incarner le lieu plus que de le reproduire. La véritable « imitation » de l’espace qu’il opère n’est pas une simple copie mais bien la démonstration de l’effet du paysage sur sa sensibilité. Cette fontaine, expression du génie humain, est peut-être une des raisons de ma venue en France si l’on se plaît à rêver sur le destin. Ce qui est sûr cependant c’est que je suis, par cette fontaine, un peu français. Ce sont les lieux qui nous font. Comme l’affirme le Zarathoustra de Nietzsche : « Placez autour de vous de petites choses bonnes et parfaites (…). Leur maturité dorée guérit le cœur. Les choses parfaites nous apprennent à espérer. ». Ainsi, cet espace pourrait être éternellement observé, éternellement éprouvé, sans être jamais épuisé. Toujours, il nous enrichira par l’impression nouvelle.
 

À l'époque de l'anthropocène, époque où l'impact humain sur la nature est particulièrement néfaste, l’art est sommé de répondre. Car avant tout, en détruisant la nature, l'homme détruit la maison dans laquelle il vit. Récemment, j'ai fini de peindre mon œuvre « L’allégorie de l'automne ». Ce tableau marque le temps de passage entre la fin de l'été et de l'arrivée de l'automne. C'est le moment de la cueillette des fruits. La récolte de Van Gogh. Le bel automne, c'est un moment de générosité de la nature. Un temps d'abondance. La nature est comme une femme qui porte des fruits. C'est la saison dorée. Frédéric Nietzsche a dit «Autour de nous c'est l'automne, et le ciel clair, et l'après-midi. Voyez quelle abondance il y a autour de nous!». Sur ma toile l'automne est représenté comme métaphore de la féminité et de la fécondité par la figure intemporelle d'une femme avec un plateau de fruits. Sur la derrière plan on voit l’église de Saint Cloud. J’ai créé cette peinture dans l’esprit de Giorgione.

 
Le portrait de femme est un de mes genres préférés. Je peux toujours trouver l’inspiration dans la beauté du corps d'une femme. Poses improvisées et images de l’intimité, harmonie des lignes et des mouvements - tout cela joue un rôle important pour moi. La ligne, comme un cerf-volant, se tord et disparaît pour réapparaître, soulignant la silhouette gracieuse et reliant la figure à son entourage. L'aspect sensuel du thème se manifeste clairement ou implicitement. J’explore ce rapport des corps entre eux dans mon tableau« Les fleurs du bien », par exemple, que j'ai appelé par opposition à Baudelaire. Si je devais faire une liste non exhaustive de mes thèmes de prédilection, la femme de l’intime, la femme dans la nature, les récits mythologiques, et les scènes de genre y tiendraient une place centrale.
 
 
Misha SYDORENKO
artiste peintre